Haricots outremer
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En fin de culture des haricots verts, ce sont des flageolets qui étaient récoltables. Il n’y en avait pas assez pour garnir chaque panier des amapiens-nes, mais avant arrachage pour une nouvelle plantation, Jimmy et Julien ont récolté ce qu’ils ont pu et les ont mis dans une grande caisse où l’on pouvait se servir librement.
C’est ce qu’à fait Marie.
En remerciement, elle a écrit ce texte.
***
« Vendredi 23 septembre 2016,
Il est vieux. Sa peau, tannée, s’est vidée de sa substance et se plaque à ce qui l’emplit, laissant apparaître çà et là quelques saillies. Je le saisis. La peau est molle mais coriace sous mes doigts qui la testent. Je tire dessus et elle s’ouvre en deux le long d’un semblant de cicatrice. Mon geste est mécanique, éteint, à l’image de ce vieillard. Je n’attends rien. Plus de racine, plus de feuille, plus de sève : la fin de la récré a sonné.
Pourtant, lorsque mon doigt suit cette brèche ligneuse, il tombe sur un monde à l’abri du monde.
Les derniers souvenirs de sève et d’eau sont concentrés là. Tout dans cette blancheur moelleuse vous accueille. A l’image d’un intérieur scandinave hermétique à la rudesse du dehors, chaque alvéole entoure d’une niche arrondie son grain. Ils sont là, rangés, attachés à l’enveloppe nourricière par un fin cordon en alternance sur chaque paroi. Leur peau, luisante, dans la lumière du matin, oscille du noir au violet sombre en passant par l’outremer. Je contemple, immobile.
Puis, lentement, mon doigt glisse sur cette surface veloutée. Un à un, ils se séparent de leur loge dans un bruit imperceptible : je sème le chaos dans cet univers rangé.
Le vieillard n’est plus.
Il a livré ses secrets. Toute son expérience est là, dans ma paume de main.
Je regarde encore ces grains, me repais de leur beauté, jubile de tant de fraîcheur dans tant de sécheresse, oublie la finitude. Je les dépose dans un petit bruit de pluie sur le journal déplié et poursuit ma moisson, sereine, dans la chaleur montante du matin.
Marie »
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